AleaSoft Energy Forecasting, 25 novembre 2024. Interview d’Irene Garrido Domínguez, de la Revista Energética, avec Antonio Delgado Rigal, docteur en intelligence artificielle, fondateur et PDG d’AleaSoft Energy Forecasting.
Actuellement, il n’y a pas de réglementation en Espagne pour encourager le stockage de l’énergie, ce qui limite les investissements dans ce domaine. Selon vous, quels types d’incitations réglementaires seraient nécessaires pour que le stockage BESS et l’hybridation soient développés à grande échelle sur le marché espagnol, et quels enseignements pourrions-nous tirer d’autres pays à cet égard ?
Actuellement, l’Espagne dispose d’une certaine base réglementaire, mais elle manque encore d’expérience pour le développement du stockage de l’énergie. La réglementation existante n’est qu’une première étape. Un cadre plus solide et plus détaillé est nécessaire, qui unifie les critères d’évaluation des projets et qui soit suffisamment souple pour s’adapter et s’améliorer à mesure que le secteur acquiert de l’expérience et que les obstacles sont identifiés. Par exemple, une amélioration possible serait d’accorder plus de flexibilité aux centrales hybrides, afin qu’elles ne perdent pas la priorité dans la répartition en incluant des batteries.
En outre, les incitations font encore défaut, ce qui limite la rentabilité des projets de stockage. Le secteur attend l’annonce du marché des capacités, prévue pour le début de l’année prochaine, bien qu’il y ait encore des incertitudes quant à la date et aux modalités de sa mise en œuvre. Pour les investisseurs, cette certitude est cruciale.
Un exemple de la manière dont un marché de capacité peut soutenir le développement du stockage est le cas du Royaume-Uni, où la capacité installée a atteint 3,5 GW en 2023. Dans ce pays, la participation aux services auxiliaires a également été une source importante de revenus, bien que ces revenus aient diminué au fil du temps à mesure que la concurrence s’intensifiait. C’est une leçon que nous pourrions tirer de ce marché : les revenus provenant des services auxiliaires auront tendance à diminuer au fur et à mesure que de nouveaux projets seront mis en service.
L’Italie et l’Australie, en revanche, proposent des incitations spécifiques et des systèmes de rémunération de la capacité pour soutenir les projets de stockage et répondre aux demandes de pointe. En Californie, des ventes aux enchères spécifiques ont été mises en place et des crédits d’impôt et des subventions sont accordés pour faciliter les investissements dans le stockage de l’énergie.
Compte tenu des coûts actuels et de la dynamique du marché, pensez-vous qu’il soit possible à court terme d’intégrer des batteries de stockage pour gérer l’intermittence des énergies renouvelables et éviter les déversements ? Quels modèles commerciaux pourraient rendre cet investissement rentable dans les années à venir ?
L’intégration de systèmes de stockage par batterie pour gérer l’intermittence des énergies renouvelables et éviter les déversements est une solution de plus en plus viable en Espagne. Bien que les coûts initiaux soient encore élevés, le prix des batteries a baissé de 50 % au cours de l’année dernière, ce qui a permis de rentabiliser les projets de batteries. Actuellement, cette solution est plus pertinente dans les systèmes hybrides qui combinent les énergies renouvelables et le stockage et qui disposent déjà d’un accès au réseau et d’un équilibre des installations, ce qui réduit les CAPEX associés à la batterie. Ce modèle permet également d’éviter les déversements et de maximiser l’utilisation de l’énergie produite.
Une part importante des revenus tirés du stockage en batterie proviendra de l’arbitrage des prix. Les batteries peuvent être chargées lorsque les prix de l’électricité sont bas et injecter cette énergie dans le réseau lorsque les prix sont élevés, tirant ainsi profit des fluctuations des prix du marché. En outre, la participation à des services d’équilibrage offre une autre source de revenus, même si, comme nous l’avons vu plus haut, ces revenus peuvent être plus limités dans le temps.
Bien que l’hydrogène vert en Espagne soit actuellement dans une phase pratiquement expérimentale, quels changements structurels, tant en termes d’infrastructures que de politiques, jugez-vous nécessaires pour que l’hydrogène vert devienne un vecteur énergétique compétitif et largement adopté dans notre pays ?
Tout d’abord, l’infrastructure pour la production, le transport et le stockage de l’hydrogène vert est essentielle, et il est important de commencer à planifier et à développer ces projets bien à l’avance.
En outre, il est essentiel de soutenir le développement de l’hydrogène vert par un soutien et des incitations ciblés pour son utilisation dans des industries telles que l’acier, le ciment, le transport à longue distance et l’aviation, qui sont des secteurs difficiles à électrifier. Il est également important de promouvoir son utilisation comme vecteur primaire pour produire d’autres carburants renouvelables tels que le méthanol ou l’ammoniac.
Enfin, il est important d’encourager l’utilisation de l’hydrogène vert pour le stockage saisonnier de l’énergie. Sa production pendant les périodes de forte production d’énergie renouvelable permettrait non seulement de réduire les déversements, mais offrirait également une solution de stockage à grande échelle, qui pourrait être utilisée pendant les périodes de l’année où la production d’énergie renouvelable n’est pas suffisante pour répondre à la demande.
Avec l’augmentation de la capacité installée en matière d’énergies renouvelables, en particulier l’énergie solaire, nous avons constaté une augmentation de la cannibalisation des prix, en particulier au printemps. Quels outils ou réformes du marché jugez-vous appropriés pour atténuer ce phénomène ? Un marché marginaliste a-t-il encore un sens dans ces circonstances ?
Pour réduire la cannibalisation des prix, il est essentiel de développer le stockage, d’augmenter la demande et de la rendre plus flexible. Le stockage permet de déplacer l’énergie produite pendant les heures creuses vers les heures pleines, ce qui contribue à équilibrer l’offre et la demande, à réduire la cannibalisation et à stabiliser les prix.
Retrouver la demande perdue ces dernières années, en partie à cause de la crise COVID et de la crise énergétique qui s’en est suivie, et continuer à stimuler sa croissance seront des mesures essentielles pour atténuer la chute des prix lors des pics de production d’énergie renouvelable. Les centres de données, l’électrification de la demande industrielle et le transport électrique sont autant de moyens d’y parvenir. En outre, l’incitation à la consommation pendant ces heures contribuera à réduire l’impact de la production renouvelable sur les prix du marché.
D’autre part, les accords d’achat d’électricité à long terme offrent un moyen de garantir des revenus stables aux producteurs d’énergie renouvelable et de réduire leur exposition aux prix du marché au comptant, atténuant ainsi l’impact de la cannibalisation. À moyen et long terme, l’augmentation de la capacité des interconnexions internationales permettra d’exporter de l’électricité pendant les heures de forte production d’énergie renouvelable, évitant ainsi une chute durable des prix.
Chez AleaSoft, nous pensons que le marché marginal est toujours approprié, car c’est celui qui fournit les signaux nécessaires aux investisseurs. En plus de 25 ans de fonctionnement du marché marginal en Espagne, le système électrique a connu une grande transformation, passant d’une forte dépendance au charbon dans les premières années, au développement des cycles combinés, de l’énergie éolienne et, ces dernières années, de l’énergie photovoltaïque. Pendant tout ce temps, le marché a fonctionné correctement et a maintenu l’équilibre.
Quels sont les secteurs que vous considérez comme prioritaires pour stimuler cette demande, et quelles politiques ou incitations pourraient être mises en œuvre pour accélérer l’électrification de l’économie, en particulier dans des domaines tels que la mobilité électrique, le chauffage ou l’utilisation industrielle de l’électricité ?
Pour stimuler la demande d’électricité, il est essentiel de promouvoir l’électrification dans des secteurs clés tels que l’industrie, les transports et de nouveaux domaines tels que les centres de données, la production d’hydrogène vert et d’autres combustibles renouvelables.
L’incitation à la consommation lors des pics de production d’énergie renouvelable pourrait se faire par le biais d’un tarif qui envoie des signaux de prix favorables à la consommation à ces moments-là.
En outre, le développement des réseaux de transmission et de distribution est essentiel pour gérer la demande accrue et la production renouvelable d’électricité. L’expansion des infrastructures de recharge est également importante pour accélérer l’adoption des véhicules électriques.
Enfin, les politiques telles que les incitations fiscales et les subventions peuvent faciliter l’électrification des processus industriels et des transports, soutenant ainsi la transition vers une économie plus électrifiée et plus durable.
Depuis des années, la fabrication d’équipements pour les énergies renouvelables (modules photovoltaïques, onduleurs solaires, cellules de batteries, etc.) est dominée par des entreprises asiatiques. Comment l’Europe pourrait-elle encourager la fabrication locale de ces équipements afin de gagner en indépendance stratégique ? Comment évaluez-vous les politiques actuelles promues par l’UE à cet égard ? Sont-elles viables ?
La fabrication d’équipements pour les énergies renouvelables a été dominée par des entreprises asiatiques, notamment chinoises, qui ont saturé le marché mondial avec des produits à des prix compétitifs. Si la mise en œuvre de mesures protectionnistes pourrait contribuer à protéger et à encourager l’industrie locale, ces politiques pourraient également augmenter les coûts de la transition énergétique et ralentir le processus si elles ne sont pas correctement gérées.
Les politiques actuelles de l’UE, telles que le plan industriel « Green Deal », la loi sur l’industrie à zéro émission nette et la loi sur les matières premières essentielles, constituent des étapes positives vers une industrie plus indépendante. Toutefois, la viabilité de ces mesures dépendra en grande partie de leur capacité à rendre les produits européens compétitifs en termes de prix et de qualité par rapport aux produits asiatiques.
AleaSoft utilise l’intelligence artificielle dans sa méthodologie de prévision énergétique, comment cette technologie est-elle utilisée et quels types d’algorithmes considérez-vous comme les mieux adaptés à l’analyse prédictive des marchés énergétiques volatils ? Quels avantages spécifiques l’intelligence artificielle apporte-t-elle en termes de précision et d’adaptation au changement climatique ?
L’utilisation de l’intelligence artificielle (IA) dans les modèles AleaModel d’AleaSoft nous permet d’analyser de grands volumes de données afin d’identifier des modèles et de faire des prévisions précises. Grâce à l’IA, nos modèles s’adaptent rapidement aux changements de variables, y compris les changements de modèles météorologiques résultant du changement climatique, ce qui est essentiel pour prédire les prix et d’autres variables sur les marchés de l’énergie.
Les réseaux neuronaux récurrents sont particulièrement utiles pour travailler avec des séries temporelles, telles que les données de marché, et sont efficaces pour prédire les modèles de prix, de demande et de production dans le secteur de l’énergie.
Après 25 ans d’expérience, quelle est la marge d’erreur moyenne des modèles de prévision d’AleaSoft, et comment avez-vous réussi à la réduire au fil du temps ? Pouvez-vous nous décrire des cas concrets où vos prévisions ont fait une différence significative dans les décisions stratégiques de vos clients ?
La base de notre méthodologie AleaModel a été maintenue depuis la fondation d’AleaSoft, et bien qu’aujourd’hui l’Intelligence Artificielle (IA) soit en plein essor, chez AleaSoft nous avons été pionniers dans son utilisation pour réaliser des prévisions très précises pour le secteur de l’énergie. L’investissement constant dans la R&D&I a été fondamental pour l’évolution de nos modèles, que nous avons améliorés grâce à une recherche et une innovation continues.
La marge d’erreur moyenne de nos prévisions varie en fonction de l’horizon temporel et de la variable analysée. Par exemple, pour les prévisions à court terme de la demande nationale d’électricité, la marge d’erreur est généralement inférieure à 2 %. En revanche, pour les prévisions de prix du marché, cette marge peut être plus importante en raison de la complexité et de la volatilité intrinsèques des marchés de l’énergie.
Lors de la prévision des courbes de prix à long terme, l’objectif principal est de saisir l’équilibre du marché et de le projeter dans l’avenir. Un exemple que nous montrons souvent est une prévision de prix à long terme que nous avons faite en octobre 2010 et dont la précision s’est maintenue au fil des ans. À l’époque, le mix de production était très différent de celui d’aujourd’hui, avec une prédominance des cycles combinés au gaz, une présence significative du charbon et une capacité d’interconnexion moindre avec la France.
Depuis lors, le marché a considérablement évolué, avec la croissance du photovoltaïque, mais aussi de l’éolien, qui était déjà présent en 2010 mais a continué à se développer, l’augmentation de la capacité d’interconnexion avec la France, qui a doublé par rapport à ce qu’elle était au moment où nous avons fait les prévisions, et la quasi-disparition du charbon. Toutefois, nos prévisions sont restées exactes, car nos modèles ont été capables de saisir l’équilibre du marché dans les données historiques et de le projeter dans l’avenir.
Prévisions de prix à long terme du marché ibérique de l'électricité MIBEL réalisées fin octobre 2010 par AleaSoft.Source : Préparé par AleaSoft Energy Forecasting.
Dans un contexte de transition énergétique vers une économie décarbonée et digitalisée, quel est selon vous le rôle d’AleaSoft dans le développement d’un système électrique plus résilient et flexible à l’échelle mondiale ? Quelles innovations technologiques ou méthodologiques envisagez-vous de mettre en œuvre dans les années à venir pour répondre à ces enjeux ?
En plus de 25 ans d’expérience, nous avons assisté à l’évolution du marché espagnol de l’électricité pratiquement depuis sa création, et nous sommes motivés pour continuer à accompagner ce processus au cours des 25 prochaines années, alors que l’Europe s’est fixé pour objectif d’atteindre zéro émission nette de gaz à effet de serre. Nos clients seront des acteurs clés de la transition énergétique, confrontés au défi de poursuivre le déploiement des énergies renouvelables et de développer de nouveaux vecteurs tels que le stockage de l’énergie. Dans le même temps, les grands consommateurs devront relever le défi de la décarbonisation de leurs processus, et les opérateurs de réseaux et les distributeurs devront planifier et assurer la stabilité d’un système caractérisé par une pénétration accrue de sources d’énergie intermittentes.
Dans ce contexte, notre objectif est de continuer à soutenir nos clients dans la planification et l’optimisation de leurs opérations grâce à nos prévisions, nos analyses et notre connaissance des marchés de l’énergie. Pour ce faire, nous continuerons à investir dans la R&D, à améliorer nos modèles et nos services, et à nous adapter aux changements que connaîtra le secteur dans les années à venir.